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L’égalité numérique entre femmes et hommes, un élément décisif de la transformation numérique

8.03.2022

Série « Trois questions sur le D4D » : Un aperçu de la fracture numérique entre les sexes en Europe et en Afrique
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África
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AU-EU D4D Hub project

Le fossé entre femmes et hommes reste un obstacle majeur pour parvenir à une transformation numérique inclusive, selon Paola Cervo, coordinatrice du projet Digital for Development (D4D) Hub Union africaine-Union européenne (UA-UE). « Réduire la fracture numérique entre les sexes est un défi partagé en Afrique et en Europe », dit-elle.

À titre d’illustration, le secteur du numérique en Afrique est en plein essor. Toutefois, malgré les avancées notables, les femmes africaines ne semblent pas bénéficier de ces développements sur un pied d’égalité. Un des derniers rapports d’Afrobarometer tire la sonnette d’alarme : l’écart entre les sexes pourrait, en fait, s’élargir. Une enquête menée dans 34 pays africains montre que les femmes sont moins susceptibles que les hommes d’utiliser un téléphone portable tous les jours, d’avoir des téléphones avec accès à Internet, de posséder des ordinateurs, d’accéder régulièrement à Internet, ou de suivre les nouvelles à travers Internet ou les médias sociaux.

Le cadre en Europe n’est pas plus prometteur, explique Paola. Selon un rapport de la commission des droits des femmes et de l’égalité des genres du Parlement européen, les femmes ne représentent que 17 % de l’ensemble des étudiants en TIC dans l’Union européenne. On en fait remonter la cause aux stéréotypes sexistes qui influencent fortement les choix des matières et déterminent que moins de 3% des adolescentes européennes manifestent un intérêt pour travailler dans le domaine des TIC.

Dans cet entretien, Paola explore les causes sous-jacentes du fossé numérique entre les sexes, les solutions possibles, et la contribution du D4D Hub UA-UE à ce défi.

Q: Pourquoi parle-t-on de fracture numérique entre les sexes ? Et quels sont les obstacles à l’accès des femmes aux technologies de l’information et de la communication (TIC) ?

PC: La fracture numérique désigne « les différences entre les sexes en matière de ressources et de capacités d’accès et d’utilisation efficace des TIC à l’intérieur et entre les pays, les régions, les secteurs et les groupes socio-économiques, » selon ONU Femmes.

Cependant, lorsqu’on évalue les inégalités numériques, il faut garder à l’esprit que la question ne se limite pas qu’à l’accès à Internet et à l’utilisation des technologies. On parle aussi de « fossé numérique entre les hommes et les femmes », ce qui souligne l’inégalité numérique comme « un aspect d’un système plus large de discrimination et de désavantages qui limitent le potentiel des femmes et des filles à participer à la société ».

Nombre d’études corroborent cette réalité. En effet, même si les écarts continuent de se réduire, le rapport GSMA Mobile Gender Gap 2021 révèle que 374 millions de femmes ne disposent pas d’un téléphone portable, parmi lesquelles 97 millions se trouvent en Afrique. D’après la World Wide Web Foundation, « les hommes ont 21 % de chances de plus que les femmes d’être connectés à internet, cet écart montant à 52 % dans les pays les moins avancés ».

Les raisons pour lesquelles les femmes sont moins susceptibles de participer et saisir les opportunités offertes par l’ère du numérique sont multiples. Plusieurs facteurs individuels et sociétaux s’accumulent et créent de véritables obstacles en rapport avec l’accessibilité, l’éducation, et le manque de connaissances technologiques.

Certainement, le problème s’interface à d’autres défis structurels. Les normes culturelles et sociales, les questions liées aux dynamiques de pouvoir, le niveau de revenu sont des facteurs qui, parmi d’autres, font de l’inégalité numérique entre les sexes une question complexe. Tenir compte de l’intersectionnalité entre le genre et d’autres formes de discrimination est essentiel pour s’atteler efficacement à combler le fossé numérique.

Comme le met en évidence un représentant de Digital Woman Uganda qui a répondu à notre appel à contributions en amont du prochain Forum multipartite D4D Hub Afrique-Europe :

« Les femmes ougandaises sont confrontées à divers défis qui compromettent leur utilisation de l’Internet et des autres technologies de l’information et de la communication. Ceux-ci reflètent les obstacles auxquels les femmes sont confrontées dans le monde hors ligne, que ce soit dans l’accès à l’éducation et aux opportunités économiques, la participation aux processus de technologie civique ou dans la revendication de leur liberté d’expression et de réunion. »

Les femmes sont moins susceptibles que les hommes d’utiliser un téléphone portable tous les jours, d’avoir des téléphones avec accès à Internet, de posséder des ordinateurs. Photo : Pix Lane

Q: Quelles sont les pistes de solutions possibles qui peuvent être explorées en vue de remédier à ces obstacles ?

PC: Les arguments qui montrent comment l’égalité entre hommes et femmes peut être un élément décisif d’une révolution numérique non seulement inclusive mais aussi efficace ne manquent pas.

Une nouvelle étude menée par l’organisation Alliance for Affordable Internet et la World Wide Web Foundation, estime à 1000 milliards de dollars la perte que le fossé numérique entre les hommes et les femmes a représenté pour les pays à revenu faible et intermédiaire sur les dix dernières années. Selon la Banque Mondiale, ceci équivaut à près des deux tiers du Produit Intérieur Brut (PIB) annuel combiné de l’Afrique subsaharienne.

La Commission européenne estime également que l’inclusion d’un plus grand nombre de femmes dans l’économie numérique pourrait créer une augmentation annuelle du PIB dans l’Union européenne de 9 milliards d’euros.

Dans ce sens, la promotion de l’égalité d’accès des femmes au potentiel des technologies numériques est au cœur des stratégies numériques de l’Union africaine et de l’Union européenne.

La stratégie de transformation numérique pour l’Afrique (2020–2030) promeut des politiques qui accroissent les possibilités d’éducation et de développement des compétences numériques pour les femmes et les filles dans les matières STEM.

De la même façon, l’Union européenne œuvre pour garantir que la transition numérique soit juste et que les femmes soient encouragées à y participer pleinement. Pareillement, saisir les opportunités d’autonomisation des femmes offertes par la numérisation fait partie d’un des six grands domaines d’action thématiques du troisième plan d’action sur l’égalité entre les femmes et les hommes dans l’action extérieure de l’UE.

Ces orientations stratégiques tracent la bonne direction. Des solutions possibles au fossé numérique entre les hommes et les femmes nécessitent une approche globale et systématique afin de définir le problème, sensibiliser et éduquer les acteurs clés, et mettre en œuvre des mesures efficaces pour y faire face.

La mise à disposition de données ventilées par sexe sur l’inclusion numérique, y compris l’accès à internet et la participation au secteur numérique, est un point de départ fondamental. Les efforts se multiplient mais doivent perdurer afin de mettre à la disposition des décideurs et décideuses politiques de données précises et complètes, en particulier pour ce qui concerne les groupes les plus marginalisés.

Des stratégies, politiques, plans et budgets qui répondent explicitement aux besoins, circonstances, capacités et préférences des femmes sont essentiels si les gouvernements et les autres acteurs clés de la transformation numérique veulent lutter efficacement contre le fossé numérique. Les outils consolidés de l’approche intégrée de l’égalité restent les plus appropriés pour intégrer la dimension genre dans toutes les phases du cycle politique dans le secteur numérique.

La sensibilisation aux opportunités et la visibilité des expériences positives jouent également un rôle important. L’accès aux opportunités de formation pour le développement de compétences numériques spécialisées est une condition préalable pour que les femmes puissent jouer un rôle non seulement en tant qu’utilisatrices et consommatrices de technologie, mais aussi en tant que développeuses et créatrices de celle-ci. Cela implique également de rendre visibles et de célébrer les contributions et les réalisations des femmes dans le domaine des TIC.


L’accès aux opportunités de formation est une condition préalable pour que les femmes puissent jouer un rôle non seulement en tant qu’utilisatrices et consommatrices de technologie, mais aussi en tant que développeuses et créatrices de celle-ci. Photo : Getty Images

Q: Comment le D4D Hub UA-UE contribue-t-il à ces efforts ?

PC: Contribuer à l’égalité numérique est au cœur du mandat du D4D Hub UA-UE. Nos activités accompagnent les institutions africaines et européennes dans la création d’un environnement favorable à une transformation numérique inclusive ; elles mettent un accent particulier sur les causes et conséquences du fossé numérique ainsi que sur les opportunités qui peuvent être relevées.

Sur le plan de l’assistance technique, nous visons à ce que l’inclusivité soit un élément clé de la mise en œuvre à partir de l’identification même du besoin auquel on se tâche de répondre. Nous nous efforçons de sensibiliser et d’informer les décideurs et les décideuses politiques des lacunes existantes et de les aider à cibler les besoins et attentes des femmes dans leurs pays ou régions.

Tant au niveau intercontinental qu’à travers l’Afrique, nous facilitons des dialogues multipartites qui reposent sur le principe d’engager tous les acteurs de l’écosystème numérique et de favoriser une représentation paritaire de leurs points de vue. Le prochain Forum multipartite D4D Hub Afrique-Europe, qui aura lieu dans dix jours, ne sera pas en reste. Une session co-organisée avec CONCORD, la Confédération européenne des ONG d’urgence et de développement, mettra en avant les visions de différents acteurs dans le but d’explorer les principaux défis et opportunités pour les femmes et les filles en Afrique et en Europe, et de contribuer aux réflexions sur une approche transformatrice et intersectionnelle à l’égalité numérique.

Au D4D Hub UA-UE nous sommes convaincu.e.s de l’importance de la promotion de modèles positifs qui célèbrent la diversité des filles et des jeunes femmes engagées dans le secteur du numérique. Pour cela, nous lançons aujourd’hui la campagne de communication #GirlsinD4D qui veut donner de la visibilité à de jeunes professionnelles inspirantes, en particulier celles qui œuvrent à faire progresser la coopération numérique entre l’Afrique et l’Europe. Nous avons hâte de mettre à l’honneur ces jeunes actrices du numérique à l’occasion de la Journée internationale des jeunes filles dans les TIC mais aussi dans les mois à suivre.

D’autres activités et initiatives également intéressantes se préparent. Nous espérons ainsi contribuer davantage aux engagements et efforts africains et européens en faveur d’une transition numérique réellement inclusive.

À propos de l’interviewée

Paola Cervo est la coordinatrice du D4D Hub UA-UE depuis janvier 2021. Elle a plus de 15 ans d’expérience dans le secteur du développement international, ayant accompagné institutions publiques, organisations internationales, ONG et start-up en Afrique et en Europe dans la mise en œuvre d’initiatives de développement inclusives et durables.